Debussy
Préludes pour piano
George Lepauw
Release Date: October 21st
ORC100205
PRÉLUDES POUR PIANO
Claude Debussy (1862-1918)
1er Livre (1910)
1. Danseuses de Delphes (Dancers of Delphi)
2 Voiles (Sails/Veils)
3. Le Vent dans la Plaine (The Wind in the Plain)
4. “Les Sons et les Parfums tournent dans l’air du soir”
(Sounds and Scents Waft in the Evening Air)
5. Les Collines d’Anacapri (The Hills of Anacapri)
6. Des pas sur la neige (Footsteps on the Snow)
7. Ce qu’a vu le vent d’Ouest (What the West Wind Saw)
8. La fille aux cheveux de lin (The Girl with the Flaxen Hair)
9. La sérénade interrompue (The Interrupted Serenade)
10. La Cathédrale engloutie (The Sunken Cathedral)
11. La danse de Puck (Puck’s Dance)
12. Minstrels
2ème Livre (1913)
13. Brouillards (Fog)
14. Feuilles mortes (Dead Leaves)
15. La puerta del Vino (The Wine Gate)
16. “Les Fées sont d’exquises danseuses”
(Fairies Are Exquisite Dancers)
17. Bruyères (Heather) 2.51
18. “Général Lavine” – excentric
19. La terrasse des audiences du clair de lune
(The Terrace of Audiences in the Moonlight)
20. Ondine
21. Hommage à S. Pickwick Esq. P.P.M.P.C
22. Canope
23. Les tierces alternées (Alternated Thirds)
24. Feux d’artifice (Fireworks)
George Lepauw, piano
« Je suis un homme qui voit le mystère en toutes choses […] »
Claude Debussy
Les préludes
Dans son remarquable livre au sujet de Claude Debussy (Debussy, sa vie et sa pensée – Londres, Dent & Sons Ltd, révision 1980), Edward Lockspeiser qui rencontra de nombreux amis et collègues du compositeur, appelle son héros « […] un phénomène artistique unique dans l’histoire de la musique » (Lockspeiser, page 162). Son analyse tient encore à ce jour.
Un homme farouchement indépendant, qui, à l’instar de Beethoven intégra entièrement les leçons des grands maîtres pour ensuite aller plus loin, Claude Debussy (1862-1918) fut toujours un artiste en quête, « car comme Beethoven, Debussy savait que le poids de l’explorateur était que la Terre promise n’était jamais atteinte, et que chaque découverte, aussi miraculeuse soit-elle, n’était qu’une éternelle illusion musicale » (Lockspeiser, page 162). Il ne fut pas professeur au Conservatoire, ne fit partie d’aucun groupe et ne laissa aucune école dans son sillage ; mais il fut profondément influent sur les modernismes naissants et reste encore aujourd’hui une source majeure d’inspiration, plus d’un siècle après sa mort.
Les vingt-quatre préludes que composa Claude Debussy pour le piano entre 1909 et 1913, organisés en deux livres de douze pièces, constituent la pierre angulaire de sa production musicale tardive. Il avait déjà composé la plupart de ses grands chefs-d’œuvres connus et d’envergure au moment où il commença à travailler sur ses Préludes en 1909 : Le Prélude à l’Après-Midi d’un Faune (1894), Pelleas et Mélisande (1902), La Mer (1905)…
Dans la dernière décennie de sa trop-courte vie (il est mort à 55 ans d’un cancer), il laissa derrière lui ses ambitieux projets orchestraux pour se concentrer sur des œuvres en miniature pour le piano, tel les Préludes, mais aussi les Etudes (1915), En Blanc et Noir (1915, pour deux pianos), ainsi que ses Six Sonates (dont trois seules ont été complétées) pour deux et trois instruments (1915-17).
Bien que ces œuvres soient parmi les plus inventives jamais composées pour le piano, dont certaines sont particulièrement bien connues (La Fille au cheveux de lin, La Cathédrale engloutie, Des pas sur la neige, Feux d’artifice), une grande partie des auditeurs et amateurs de musique ne connaissent pas bien ces préludes dans leur totalité. Mais pris dans leur ensemble et entendus du premier au dernier prélude, ils offrent à l’amateur attentif un voyage extraordinaire à travers l’esprit inspiré et sensuel de Debussy. Encore une fois, Lockspeiser nous raconte :
« Dans les deux livres de Préludes, nous sommes amenés à faire d’étonnants et nombreux voyages […]. Les décors changent régulièrement, en passant par des images exotiques de l’Orient, de l’Espagne, de l’Italie et […] de l’Ecosse ; puis passant par les caricatures sévères et magnifiées du music-hall victorien ; puis, en prose et en poésie, de légendes en musique ; ainsi que d’évocations des mystères de la nature […]. Debussy se montre clairaudient et clairvoyant dans les Préludes. Sa conception mystérieuse des propriétés tactiles de la musique est aussi remarquable, et il y a des pages qui pourraient presque amener la musique vers des frontières d’un art odoriférant » (Lockspeiser, pages 155-156).
Debussy était de nature curieuse et trouva ses inspirations musicales à travers toutes ses expériences : les sonorités exotiques du gamelan javanais (entendus pour la première fois en 1889 à l’occasion de l’Exposition universelle qui révéla aussi la Tour Eiffel) ; la musique syncopée d’Amérique (le ragtime, la musique de banjo, les cuivres de J.P. Sousa) ; les images d’estampes japonaises de Hokusai ; mais aussi les légendes de l’Espagne mauresque, les mystères de la spiritualité indienne, les contes de fées du monde entier ; la poésie symboliste de Baudelaire, Verlaine et Mallarmé, le 18ème siècle de Rameau et Watteau, les illustrations d’Arthur Rackham, les huiles de Turner, le théâtre, la danse, le cirque, et même le cinéma naissant, et tout cela en plus des expériences personnelles du compositeur parisien lors de ses nombreux voyages en Europe qui l’emmenèrent de Rome à Moscou, de Vienne à Londres, et par bien d’autres étapes. L’inspiration musicale venait facilement à Debussy : « Je suis un homme qui voit le mystère en toutes choses […] » disait-t’il. Ce sens du mystère est palpable dans ces préludes.
Sa manière de composer pour le piano était en fait révolutionnaire. Il était capable de dénicher des couleurs dans la production du son que les compositeurs qui l’ont précédé n’avaient jamais exploré en profondeur. Ayant entendu Franz Liszt (1811-1886) jouer à Rome, lorsqu’il était pensionnaire à la Villa Médicis (il avait eu le Prix de Rome en 1884), il avait été frappé par sa manière d’utiliser la pédale comme “une sorte de respiration”. L’écriture de Debussy, surtout dans ses préludes virtuoses, est effectivement très lisztienne, mais doit aussi beaucoup à Chopin (qui avait été le professeur de piano de la première enseignante de Debussy, Mme Mauté). Mais Debussy poussa plus loin encore : « … le piano serait transformé en un instrument d’illusion […] » (Lockspeiser, page 155).
Il était, par-dessus tout, un grand observateur à l’oreille attentive, et c’était la variété et la beauté du monde extérieur qui permettait à son monde intérieur de s’épanouir. Debussy lui-même l’a expliqué :
« Le son de la mer, la courbe de l’horizon, le vent dans les feuilles, le cri d’un oiseau se gravent comme tant d’impressions complexes au fond de nous. Puis, soudain, sans aucune volonté de notre part, un de ces souvenirs s’extrait pour être transformé en musique. Cela porte ses propres harmonies internes. Sans aucun effort de notre part, nous pouvons atteindre quelque chose de plus vrai et certain. De cette manière seulement une âme destinée à la musique découvre ses plus belles idées » (Lockspeiser, page 99).
Le génie de Debussy est mis en lumière dans ces préludes qui, bien que conceptuellement vastes, sont des chefs-d’œuvres en miniature. La forme libre du prélude était particulièrement adaptée au tempérament de Debussy : il pouvait y suivre son pur instinct sans souci de structure prédéterminée. Le prélude a toujours été considéré comme une forme improvisée, utilisée par de nombreux compositeurs tels Bach et Chopin (qui composa aussi une fameuse série de 24 préludes), et qui pouvaient laisser libre-court à leurs doigts sur le clavier, et à leurs plumes sur le papier. Ainsi, l’art du prélude permet au génie naturel du musicien de s’exprimer.
Bien que les titres de chaque prélude soient d’un grand intérêt et peuvent guider notre esprit dans sa quête de sens de cette musique parfois mystérieuse, il faut néanmoins noter que le compositeur plaça ses titres non pas en tête de l’œuvre mais à la fin (et en parenthèses !), un choix assez inhabituel. Il semblerait pourtant que Debussy ne souhaitait pas voir ses titres définir ces pièces, mais au contraire que ces préludes aient une vie purement sonore et séparée de préjugés mentaux contraignants. Debussy nous offre ces (sous) titres plutôt comme tant de suggestions, comme une traduction approximative, mais sans imposition. Pour Debussy, toujours un homme des sens, ce qui comptait était l’expérience profonde et libre de la musique plus que sa compréhension intellectuelle.
Présentation de l’album
Né et élevé en France, mon éducation musicale fut nourrie des grands compositeurs du piano, notamment Beethoven et Chopin. La musique de Debussy m’avait été révélée d’abord dans sa musique orchestrale, car mon père, étant membre de l’Orchestre de Paris, m’offrit le privilège d’assister à tous ses concerts pendant des années, dont de nombreuses occasions d’entendre le Prélude à l’après-midi d’un faune, Nocturnes, La Mer, Images … Ces sonorités puissantes et enveloppantes ont laissé leurs marques dans mon esprit, mais ce n’était pas avant d’atteindre mes vingt ans alors que j’habitais aux Etats-Unis que la musique et le monde parallèle des deux livres de Préludes de Debussy m’envouta alors. En quelques semaines, j’avais appris tous les préludes et commença à les offrir en concert. Ces pièces sont restées dans mon répertoire et mes doigts, mais cette époque du premier apprentissage a marqué un moment d’effusion particulier, associé à l’excitation de mes années de jeune musicien. Je me sentais de plus profondément attaché à l’esprit rebelle et indépendant de Debussy !
Ces préludes de Debussy représentent aussi pour moi un moment de transformation dans mes études formelles de musique, m’aidant à acquérir la maîtrise et surtout la liberté dont j’avais tant besoin pour être musicien. Je venais de terminer mes études et n’étais pas encore entièrement sûr de moi. Par un heureux concours de circonstances, j’avais été invité à rendre visite au grand et maintenant feu pianiste légendaire Earl Wild chez lui, né lorsque Debussy était encore vivant. Après m’avoir entendu jouer ces préludes, il me donna un simple conseil qui finit de me libérer entièrement : « La musique est une danse. Suis la ! ». Je pris à cœur ce bon conseil et lâcha prise.
Moins d’un an après, en août 2007, j’enregistrai les deux Livres de Préludes en une seule et unique soirée sur la scène de la Music Institute de Chicago, devant une équipe cinématographique et mon ingénieur (une version filmée de ce disque sera bientôt disponible en ligne). Je jouai les préludes deux fois de suite, du début à la fin comme pour un concert. Après, je sélectionna les meilleures prises pour la version définitive du disque. Ceci est donc un honnête portrait du musicien et concertiste que j’étais à l’époque. Cet album exprime, toutes ces années plus tard, l’énergie spéciale d’un moment unique de ma vie. Cet enregistrement privé n’aurait pas pu être réalisé sans l’initiative de mon père et le soutien sans relâche de mes parents Jane et Didier Lepauw, ce pour quoi je les remercie de tout mon cœur.
Chacun des ces préludes est un monde à part entière et peut facilement se suffir à lui-même. Les entendre individuellement ou en groupe est également satisfaisant et enrichissant. Combien de fois mon esprit s’est-il perdu dans les fines particules de brouillards, est parti visiter le palais de l’Alhambra à travers la Puerta del Vino, a été submergé par les flots dans La Cathédrale engloutie ? Mais le prélude final, surtout si nous l’entendons à la suite des vingt-trois préludes qui le précèdent, est celui qui nous laisse le plus perplexe avec une sorte d’arrière-goût, peut-être même empreint d’absinthe. Feux d’artifice n’est pas aussi joyeux que l’on ne pourrait se l’imaginer, malgré sa citation musicale tirée de La Marseillaise, tel un pressentiment des catastrophes qu’allaient êtres les champs de bataille et les tranchées emplies de gaz moutarde lors de la Grande Guerre. Publié en 1913, ce deuxième Livre et son Feux d’artifice final ne permettait pas à Debussy de savoir ce que personne n’avait encore deviné. Mais comment, de nos jours, ne pas entendre le drame qui suivit à la suite de ces patriotismes décadents et explosifs dans les sonorités de ce grand prélude final ? En vérité, il pourrait aussi nous servir de mise-en-garde au 21ème siècle ! Pour moi, toute cette musique reste essentielle, profonde et clairvoyante.
Je vous invite à suivre mes explorations du monde de Debussy sur le site
www.claudedebussy.fr
George Lepauw
George Lepauw est un pianiste franco-américain vivant à Paris. Son récent album de l’intégrale du Clavier bien-tempéré de J.S. Bach, intitulé Bach48 sur le label Orchid Classics, a été salué par les critiques et le public du monde entier. Sa traversée des œuvres majeures de Beethoven, y inclus les fameuses 32 Sonates, est en cours d’enregistrement et paraîtra dans les années à venir. Un album de trios pour piano, violon et violoncelle peu connus de Beethoven a été édité sur le label Cedille Records en 2010 avec le Beethoven Project Trio. George Lepauw a étudié avec Aïda Barenboim, Elena Varvarova, Brigitte Engerer, Rena Shereshevskaya, Vladimir Krainev, James Giles, Ursula Oppens et Earl Wild. Il a été parallèlement guidé et soutenu par Carlo-Maria Giulini, Maria Curcio et Charles Rosen. Il est diplômé en histoire et en littérature de Georgetown University et en musique de Northwestern University. En 2012, George Lepauw est nommé Citoyen de l’année pour la musique classique dans le Chicago Tribune, qui le décrit comme un « pianiste prodigieux » alors que le New York Times reconnaît sa « sonorité chantante ». En plus de sa carrière de concertiste, George Lepauw enseigne le piano, compose, écrit des articles sur la musique, et produit des films musicaux.
Pour suivre ses activités, rendez-vous sur www.georgelepauw.com